Quand la BD… parle de gastronomie

[Texte publié initialement dans l’édition de septembre-octobre du magazine des Cinémas Le Clap.]

En septembre, le Délicieux d’Éric Besnard va prendre l’affiche dans les cinémas Le Clap. Cette fiction historique nous ramène en 1789, à l’aube de la Révolution française, et nous fait suivre le parcours d’un chef qui, limogé par son maître, en viendra à ouvrir le premier restaurant. D’un médium à l’autre, l’univers de la gastronomie a inspiré nombre de créateurs et de créatrices. Et la sortie de Délicieux offre une belle excuse pour porter un regard sur quelques bande dessinée qui abordent ce sujet!

Je ne sais pas pour vous, mais j’ai l’impression que dès qu’on parle « gastronomie et bande dessinée », on pense à Astérix et à ses grands banquets.

Il faut dire qu’en dehors de cette scène fétiche, l’immortelle série de René Gosciny et Albert Uderzo a laissé, au gré des albums, une belle part à l’alimentation : outre les incontournables sangliers, on peut ainsi penser à la fondue au fromage d’Astérix chez les Helvètes, les « légères » collations d’Astérix chez les Belges ou encore le tour de France gastronomique du Tour de Gaule d’Astérix.

Cela dit, si vous êtes d’abord et avant tout à la recherche de festins, parmi les sorties plus récentes, je m’en voudrais de ne pas vous diriger vers La Passion de Dodin-Bouffant, de Mathieu Burniat (Dargaud). Cet album, adaptation du classique littéraire de Marcel Rouff, nous entraîne à force d’arômes, de saveurs et de passion vers la bonne chère… et disons qu’il est difficile de ne pas saliver, à divers moments, au gré des planches! 

Saveurs et émotions

Un autre des incontournables en matière de BD culinaire, ces dernières années, est La Cantine de minuit du mangaka Yaro Abe (Le Lézard Noir). Cette populaire série, active depuis 2006, explore les racines émotives de la nourriture : ce qui fait l’attrait d’un plat, ce n’est pas que son goût, ses ingrédients ou la qualité de sa préparation, mais aussi – voire surtout! – les souvenirs et les sentiments qui lui sont rattachés.

L’action s’ancre dans une petite cantine située au fond du quartier Shinjuku, à Tokyo. Clients d’un soir et habitués, de tous métiers ou toutes classes sociales, y passent entre minuit et sept heures pour profiter d’un bon plat. Selon leurs envies, le chef prépare presque tout plat à la demande, pourvu qu’il ait les ingrédients nécessaires. Au fil des courtes histoires, les plats se succèdent, le temps de brosser le portrait du client, entre une vie et un moment, entre émotion et humour, entre complexité et caricature.

Dessinée avec simplicité et efficacité, La Cantine de minuit est une forée vers la cuisine japonaise et sa variété. À travers le contact effectué entre plats et mémoire à travers une galerie de personnages, c’est aussi un portrait du Japon moderne qui se construit devant les yeux du lecteur au fil des courts récits.

Et si l’envie vous vient de poursuivre cette plongée dans l’univers alimentaire du Japon, vous pouvez compléter avec Le Gourmet solitaire, de Jirô Taniguchi et Masayuki Kusumi (Casterman) où, ici aussi, les auteurs explorent les croisements entre cuisine et émotion, chaque histoire amenant son plat gouté et les souvenirs ou pensées qui lui sont associés.

Rencontres et apprentissages

Pour rester dans les incontournables, il est également difficile de passer outre Les Ignorants : récit d’une initiation croisée d’Étienne Davodeau (Futuropolis).

L’ouvrage nous invite à assister à une rencontre entre un auteur BD et un viticulteur. S’ensuit alors le récit d’une prise de contact entre individus, spécialistes et passionnés – entre vins et bande dessinée. On y découvre une année d’échanges et de découvertes croisées, faisant de l’ouvrage une véritable double « porte d’entrée », tant vers le 9e Art que vers l’univers vinicole.

Le genre d’album à partager, qui trouve facilement sa place dans toute bibliothèque!

Et sinon, dans le registre des rencontres, il y a aussi Christophe Blain qui, il y a quelques années, était allé à la rencontre d’un géant gastronomique français dans son pédagogique En cuisine avec Alain Passard (Gallimard) – une occasion de discuter saveurs, méthodes, recettes ou philosophie (culinaire!). Et si l’idée de rencontres entre auteur BD et restaurateur vous plait, vous pouvez aussi profiter des agréables chroniques de Guillaume Long dans sa série À boire et à manger (Gallimard) – où la chose culinaire est explorée sous une multitude d’angles et avec nombre d’intervenants, entre recettes, anecdotes, portraits, informations et dégustations. 

Et au Québec?

Je m’en voudrais de ne pas compléter cette (courte) liste avec quelques titres québécois, dont tout particulièrement Cyril Doisneau et ses Carnets de bouffe (La Pastèque), où l’auteur s’est immiscé dans quelques cuisines de Québec et Montréal question de nous présenter l’envers du décor, et ceux qui l’habitent. En résulte, façon chronique, une belle forée dans l’univers gastronomique d’ici.

Côté bière, Nick Micho fait un travail similaire, nous amenant à la rencontre de brasseur de la Gaspésie ou de la Capitale-Nationale dans ses deux tomes de Bière dessinée (Sawin) construits à la façon d’un guide touristique.

En matière d’humour, clin d’œil au décapant Bestiaire des fruits, de Zviane (La Pastèque) où l’autrice se donne à la dégustation de fruits exotiques trouvés au détour de l’épicerie du coin. En résulte une analyse (avec critères!) absolument délirante… autant qu’un désir de les faire, nous aussi, ces expérimentations.

Enfin, pour ceux qui veulent sortir des cuisines pour aller plutôt vers les champs : le Faire campagne de Rémy Bourdillon et Pierre-Yves Cezard (La Pastèque) et Le Nouveau monde paysan au Québec de Stéphane Lemardelé (La Boîte à bulle). Il s’agit là de deux riches albums documentaires, finement réalisés et documentés, qui vulgarisent les défis de l’agriculture de proximité, et qui se consomment agréablement de façon complémentaire.

Ne reste plus qu’à vous souhaiter bonne lecture (et bon appétit!).

Podcast – Émission du 2 novembre 2012

Podcast de l’émission du vendredi 2 novembre 2012.

Au menu cette semaine :

  • Chronique de Thomas-Louis Côté : retour sur le festival Quai des bulles, à Saint-Malo.
  • Chronique de Mathieu Plasse : regard sur les recueils Best American Comics, sur la série Superfuckers de James Kochalka, et sur le collectif Paperrad.
  • Commentaires BD d’Anne-Marie Olivier : Jane, le renard et moi de Fanny Britt et Isabelle Arsenault (La Pastèque) et 23 prostitués de Chester Brown (Cornélius).
  • Commentaires BD de Marco Duchesne : Shrimp t2, La couleur de l’éternité de Mathieu Donck, Benjamin D’Aoust et Mathieu Burniat (Dargaud) et Orbital t5, Justice de Sylvain Runberg et Serge Pellé (Dupuis).

Animation et recherche : Raymond Poirier

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